Jackie avait des acheteuses qui sillonnaient l'Europe en quête de nouveautés. Au deuxième étage de la Maison-Blanche, les placards regorgèrent bientôt des dernières créations. La garde-robe de Jackie était bondée et l'un des placards, d'après Gallagher, « vous donnait presque l'impression d'entrer dans une boutique de chaussures... Si Jackie aimait quelque chose, poursuit-il, elle passait commande et s'occupait des factures plus tard. Puis, quand elle voyait le total, elle recommençait à faire des économies ». Mais pas pour longtemps.
En juillet 1961, les dépenses personnelles de Jackie, pour le deuxième trimestre, équivalaient à 35 000 dollars, presque la moitié partant en vêtements. Vers la fin de l'année suivante, les Kennedy se bagarraient violemment. Au cours d'une rencontre avec Gallagher, le Président eut l'air complètement affolé. Mais il était incapable d'amener sa femme à réduire son train de vie. Les dépenses familiales pour l'année passèrent de 105 446 dollars en 1961 à 121 462 dollars l'année suivante. La colère de John s'augmentait du fait qu'il avait donné publiquement aux oeuvres de charité ses 100 000 dollars de
salaire annuel.
Jackie n'avait pas de confidentes, remarque West, à l'exception
peut-être de sa soeur. Elle refusait de donner des conférences de presse et se montrait parfois réticente à participer aux fonctions officielles. « Jackie menait une vie curieusement retirée à la Maison-Blanche, racontera Mary Gallagher. Elle se partageait entre les réceptions officielles, sa petite famille et des activités qui lui étaient
propres. »
Selon West, Jackie n'aimait pas la compagnie des autres femmes, dont elle se désintéressait dans le privé autant que dans ses fonctions
officielles. Ses relations avec Rose, les soeurs Kennedy et même sa mère étaient tendues. Elle semblait se plaire surtout dans la compagnie d'hommes plus âgés et plus particulièrement dans celle de l'ambassadeur ".
L'affection qui les liait l'un à l'autre était indiscutable, mais l'attitude extraordinairement chaleureuse de Jackie à l'égard du patriarche avait peut-être une autre explication. C'était le bureau de l'ambassadeur qui s'occupait des finances personnelles du Président et de sa femme, et le vieux Kennedy s'intéressait de très près à la manière dont l'argent était dépensé. John ne fut pas long à s'inquiéter des dépenses de sa femme, non seulement parce qu'elles étaient élevées mais aussi parce qu'il savait que son père pouvait vérifier les livres. La secrétaire personnelle de Jackie, qui rédigeait ses chèques et tenait ses comptes, remarquera par la suite que les fils et les filles Kennedy se faisaient tous « un point d'honneur de montrer qu'ils savaient gérer leur argent correctement ». Jackie a peut-être pensé que, s'il était bien disposé à son égard, l'ambassadeur serait moins prompt à s'irriter de ses dépenses somptuaires
Jackie se lança dans ce qu'elle appela la restauration de la Maison-Blanche. Elle voulait en gros que la demeure rappelle l'époque du Président Monroe, où le
style français était en vogue. C'était un projet ambitieux et coûteux, qui allait prendre plus d'un an.
Charpentiers, peintres, plombiers, électriciens se mirent à l'ouvrage, d'abord dans les sept pièces du premier étage réservées à la famille, qu'ils transformèrent suivant les plans détaillés de la Première Dame. Jackie nomma des conseillers et s'activa pour trouver les meubles anciens, l'artisanat, les tapis, les tentures et les rideaux qu'il convenait. Au bout de deux semaines, un crédit de cinquante mille dollars se trouva épuisé. Avec l'aide du décorateur parisien Stéphane Boudin, elle se consacra bientôt aux pièces du
rez-de-chaussée, dont plusieurs furent entièrement refaites. Les changements furent tels qu'à la mi-février, le Président reçut le
Premier ministre du Danemark et d'autres invités à l'office au lieu
du salon Bleu.
West, le premier huissier, qui travaillait à la Maison-Blanche
depuis 1941, était sidéré par le sens du détail chez cette jeune femme de trente et un ans et par son aptitude à obtenir ce qu'elle voulait : « Elle avait une volonté d'acier, écrira-t-il, et une obstination que je n'ai jamais rencontrée ailleurs. Pourtant, elle s'exprimait avec tant de douceur, d'adresse et de subtilité qu'elle parvenait à imposer cette volonté aux gens sans même qu'ils s'en rendent compte. » Le charme et l'insistance de Jackie, magistralement employés auprès d'amis fortunés et des autres, permirent d'enrichir la collection de la Maison-Blanche d'objets d'art et de mobilier d'une valeur non
négligeable'.